AU DETOUR DE LA VIE: Chroniques relationnelles, humaines et psychocorporelles.

Ce qui m’a frappée, c’est cette phrase :
« J’ai l’impression d’être seule dans mon couple. Plus je demande un peu de présence, plus il se ferme.
Et je ne sais plus comment créer du lien sans me perdre. »
Je l’ai entendue chez des personnes de tous âges, de tous milieux, de toutes histoires.
Une étudiante de 22 ans.
Une femme de 40 ans qui porte tout.
Un homme de 55 ans qui n’arrive plus à parler.
Une retraitée qui regarde son compagnon comme un inconnu.
Ce n’est pas une phrase légère.
C’est un épuisement discret mais profond, qui mérite toute notre attention.
Elle revient souvent, dans la bouche de femmes, et aussi d’hommes qui ne comprennent plus pourquoi le lien se dérègle alors qu’aucune hostilité apparente ne devrait justifier une telle distance.
Cette dynamique n’a rien d’anecdotique.
Elle s’inscrit dans quelque chose de très étudié, très documenté, très humain :
à Notre système d’attachement.
- L’attachement : un concept scientifique.
On l’oublie trop souvent : l’attachement n’est pas une mode,
ni une typologie de personnalité,
ni un outil de diagnostic sauvage.
C’est une théorie solide, née des travaux du psychiatre John Bowlby et de la psychologue Mary Ainsworth entre les années 1950 et 1970.
Leur hypothèse, confirmée par des décennies de recherches :
La qualité du lien primaire (parent → enfant) crée les premières cartes internes de sécurité ou d’insécurité.
Et ces cartes guideront, plus tard, notre manière d’aimer, de craindre, de nous rapprocher ou de prendre nos distances.
Mais ce qui est fondamental, c’est que le lien évolue au fil des relations.
Plus une relation est intime, plus elle sollicite profondément ces cartes internes.
Et les travaux contemporains le montrent clairement :
- Hazan & Shaver (1987) ont été les premiers à démontrer que ces schémas d’attachement se retrouvent dans nos relations amoureuses.
- Mikulincer & Shaver (2007–2016) ont détaillé comment nos comportements relationnels sont des stratégies d’autorégulation émotionnelle.
- Chris Fraley (2002–2018) a mis en évidence la malléabilité de l’attachement selon le partenaire, le contexte et l’histoire personnelle.
- Jude Cassidy (2016) a confirmé que l’attachement adulte n’est pas un type figé, mais un processus dynamique.
- Les profils d’attachement.
L’attachement sécure
Enfance
- Figures parentales globalement cohérentes et prévisibles
- Réponses émotionnelles ajustées
- Possibilité d’exprimer joie, colère, peur sans punition ou retrait
- Modèle interne : “je suis une personne qui mérite l’amour”
Injonction interne
« Le lien est stable. Je peux compter sur l’autre, et sur moi. »
À l’âge adulte
- Capacité à exprimer ses besoins sans menace ou gêne
- Gestion du conflit sans effondrement ni fuite
- Proximité confortable, mais indépendance possible
- Absence de lecture catastrophiste
- Peu ou pas de jalousie anxieuse
- Retour au calme rapide après une tension
- Bonne intuition émotionnelle
- Respect des limites d’autrui
- S’engage sans s’écraser, se sépare sans s’effondrer
Le sécure n’est pas parfait : on lui a permis de se réguler. C’est tout.
L’attachement anxieux
Enfance
- Disponibilité parfois chaleureuse, parfois absente
- Soin émotionnel intermittent
- Incohérence dans les réponses (parfois soutien, parfois reproche)
- L’enfant comprend : “quand je baisse la garde, quelque chose se passe”
Injonction interne
« Pour garder le lien, je dois être vigilant. Rien n’est acquis. »
À l’âge adulte
- Hypervigilance affective : surveille les signaux
- Besoin fréquent de réassurance (même légère)
- Peur d’être remplacé, oublié, mis à distance
- Sensibilité forte aux changements de ton / délai de réponse
- Analyse excessive : “qu’est-ce que ça veut dire ?”
- Tendance à se suradapter pour maintenir la relation
- Difficulté à tolérer les silences et les zones floues
- Fusion recherchée (parfois malgré soi)
- Affect très réactif : up & down émotionnels rapides
- Peut confondre intensité et sécurité
Ce n’est pas “demander trop”, c’est chercher un sol émotionnel.
L’attachement évitant
Enfance
- Réponses affectives faibles ou absentes
- Encouragement implicite à l’auto-gestion
- Émotions peu accueillies (“calme-toi”, “ça ne sert à rien de pleurer”)
- L’enfant comprend : “quand j’exprime, ça ne sert à rien — ou ça agace”
Injonction interne
« L’intensité est dangereuse. Je dois rester indépendant. »
À l’âge adulte
- Distance protectrice lorsque la relation devient trop intense
- Réflexe de retrait dès que la proximité augmente
- Hyper-indépendance (“je n’ai besoin de personne”)
- Difficulté à identifier ses propres besoins affectifs
- Dénigrement intérieur des émotions (“c’est ridicule”, “inutile”)
- Préférence pour les relations “légères”, peu engageantes
- Confort dans le contrôle, inconfort dans la vulnérabilité
- Tendance à minimiser les conflits ou les éviter
- Peut être perçu comme froid, alors qu’il est surtout craintif
- Sensibilité extrême aux attentes d’autrui (qui le pousse à fuir ou fermer)
Ce n’est pas du détachement réel : c’est du détachement appris.
L’attachement ambivalent / désorganisé
Enfance
- Environnement émotionnel imprévisible
- Parfois source de réconfort, parfois source de menace
- Mélange de sécurité et d’insécurité
- L’enfant comprend : “je veux venir, mais je ne suis pas en sécurité quand je viens”
Injonction interne
« L’autre est à la fois refuge et danger. »
À l’âge adulte
- Approche rapide → panique → retrait → culpabilité
- Relations très intenses, très fluctuantes
- Besoin d’être rassuré, puis brusque besoin d’espace
- Fuite lorsque l’autre est trop proche
- Recherche de proximité lorsque l’autre s’éloigne
- Difficulté à stabiliser la confiance
- Grande lucidité émotionnelle, mais grande instabilité
- Tendance à “tester” la relation
- Peurs profondes : abandon et intrusion
- Oscillations qui épuisent autant la personne que le couple
C’est l’attachement de l’ambivalence profonde : vouloir et craindre en même temps.
Un point central : l’attachement est modulable et évolutif.
A ce stade-là, il est important de comprendre que :
C’est une danse de protection entre deux alter ego, où les mécanismes de survie s’activent des deux côtés, souvent sans que l’un ou l’autre sache réellement ce qu’il est en train de protéger.
Ce n’est pas une identité. Nous n’aimons pas “comme ça”. Nous aimons “comme ça dans cette relation”, parce qu’elle réactive quelque chose de précis.
L’attachement n’est jamais un état, c’est une interaction.
Les recherches contemporaines convergent vers ceci :
àNous pouvons être sécures dans une relation, anxieux dans une autre, évitants dans une troisième.
Pourquoi ?
Parce que :
- L’attachement est relationnel.
- Il dépend de ce que l’autre réactive.
- Il s’ajuste au contexte et aux blessures encore sensibles.
Nous ne réagissons pas à la personne.
Nous réagissons à ce que sa présence ravive en nous.
Rien n’est figé.
Rien n’est définitif.
3.Une pratique psycho-corporelle de recentrage.
Parce qu’on voit circuler beaucoup de protocoles de respiration “idéale”, je voudrais rappeler une chose simple :
àSur le terrain, et dans l’instant, le meilleur souffle est celui que votre corps peut réellement tolérer.
Forcer un rythme, c’est souvent stresser un système déjà sous tension.
Voici donc un exercice volontairement minimaliste, respectueux du corps, applicable en 30 secondes à 2 minutes.
- Accordage interne (appui +souffle+ balancement)
Assieds-toi. Mains sur le sternum. Inspire comme tu inspires. Expire comme tu expires. Ton souffle va simplement accompagner ton corps. Laisse un millimètre de détente survenir quelque part à chaque expiration.
Un millimètre, c’est déjà un changement. Laisse ton corps osciller d’avant en arrière,
ou de droite à gauche,
quelques millimètres seulement.
Un mouvement régulier que ton système nerveux adore. Puis termine, par trois grandes inspirations en t’étirant.
- Technique d’impact
Là, tu viens connecter le corps à la symbolique.
C’est profondément thérapeutique, et ça parle aux trois profils (anxieux/évitant/ambivalent).
Je te propose trois versions, au choix, selon ce dont tu as le plus besoin.
A: Le mot qui pèse (puis qu’on déchire)
- Prends une feuille.
- Écris le mot qui te pèse maintenant.
Pas une phrase. Un mot.
Exemple : trop, manque, peur, attente, fatigue, colère, vague, silence… - Regarde-le 3 secondes.
- Déchire.
- Observe les sensations qui te parviennent.
→ L’impact : tu coupes le mécanisme et tu t’ancres.
B: Le mot qui manque (puis qu’on garde)
- Écris le mot qui te manque.
Exemple : appui, présence, calme, écoute, espace, lien… - Plie la feuille en deux.
- Garde-la dans ta poche, ton sac, ou sous une main.
- Respire et observe les sensations.
→ L’impact : tu donnes un espace concret à ce que ton corps réclame.
Ça apaise + ça recentre.
C: Le geste qui tranche
- Avec ta main libre, fais un petit geste de “trancher l’air”.
Pas agressif. Juste clair. - Comme si tu coupais une hésitation, une tension, un nœud.
- Laisse ton souffle descendre ensuite.
→ L’impact : tu poses une limite symbolique entre toi et ce qui t’envahit.
Ce n’est pas une technique exclusive. C’est un retour à soi. Un point d’appui intérieur, quand tout semble vaciller. Une manière douce de dire à ton système :
« Je suis là. Je reviens. J’habite mon corps. »
4.De la Classification à l’intégration : Une autre lecture de l’attachement.
Je vous propose maintenant, de faire un pas de côté et de regarder l’attachement autrement : non pas comme des catégories, mais comme un mouvement vivant, qui peut se construire, se compléter et s’équilibrer de par la rencontre.
On ne devient pas sécure seul.
On le devient dans le lien, par le lien, et grâce au travail intérieur que ce lien révèle.
(Cf. schéma : Les compétences des profils d’attachement équilibrés.)
1.L’anxieux
Ce sont les personnes qui aiment intensément, qui sentent vite, et qui connectent profondément. On évoque souvent leur hypersensibilité, mais cette sensibilité est une compétence lorsqu’elle est équilibrée.
à Dans un couple :
L’anxieux apporte du lien, de la présence et une profonde capacité à aimer avec cœur.
2.L’évitant
Ce sont les personnes qui savent structurer, stabiliser, analyser. Leur protection est émotionnelle, pas relationnelle). On associe souvent l’évitant à la distance.
C’est vrai… mais ce retrait cache des compétences réelles.
à Dans un couple :
L’évitant apporte de la structure, de la stabilité, de la clarification, et une forme de solide tranquillité.
3.L’ambivalent / désorganisé
Ce sont les personnes les plus lucides… mais aussi les plus tiraillées. Elles possèdent des forces rares. L’ambivalent est souvent réduit à ses oscillations émotionnelles.
Mais sa profondeur intérieure est une ressource exceptionnelle.
à Dans un couple :
L’ambivalent apporte de la vérité, de la profondeur, de la conscience, et un élan vital qui réanime le lien.

Un attachement n’est ni une identité figée, ni un défaut à corriger, ni une case dans laquelle on serait condamné à rester.
Il n’est qu’un mouvement, un ajustement, un accordage entre deux existences.
Et si l’on comprend que le sécure n’est pas un “type”, mais une intégration, un équilibre entre le lien, la structure et la vérité intérieure, construit grâce aux personnes que l’on rencontre et à la manière dont on accepte de se laisser transformer… alors une évidence apparaît :
cette intégration ne peut émerger que dans la rencontre, au contact de ce que l’autre réveille, questionne ou apaise en nous.
Pas contre l’autre.
Pas malgré l’autre.
Mais grâce à la relation.
C’est là qu’un point essentiel devient évident :
ce n’est pas pour rien qu’on s’attire.
L’attirance n’est jamais totalement aléatoire.
Elle fait souvent écho à une blessure, un besoin, un manque, une mémoire, un potentiel de croissance, une part endormie qui demande à être vue.
Parfois, l’autre porte une pièce de notre propre équilibre, celle que nous n’avons pas encore développée.
C’est aussi pour cela que l’on dit que l’amour ne suffit pas toujours.
Parce qu’aimer ne suffit pas à dépasser nos mécanismes de protection, nos peurs, nos modèles anciens.
Mais relationner, oui.
Relationner : un verbe vivant, exigeant, qui demande d’apprendre, de s’ajuster, de se regarder, de co-créer.
C’est un verbe qui se conjugue à deux, et qui n’existe qu’à deux.
Un acte que l’on conjugue à tous les temps :
au passé, quand nos blessures remontent,
au présent, quand on ajuste,
au futur, quand on apprend à aimer autrement.
Nos différences, loin d’être un obstacle, sont souvent ce qui nous complète, ce qui nous révèle, ce qui nous apprend.
Ce n’est pas “qui je suis” qui détermine la qualité d’un lien.
C’est ce que nous acceptons de devenir ensemble, au fil de ces micro-rencontres où chacun choisit, ou non, de s’ouvrir un peu plus.
Dans un monde où tout pousse à la polarisation, hommes contre femmes, anxieux contre évitants, forts contre sensibles, l’attachement nous rappelle une chose simple et apaisante :
le lien sécure ne naît pas de la ressemblance, mais de la complémentarité.
C’est l’ajout de ta valeur, de ma valeur, de nos peurs et de nos compétences,
et du travail intérieur que nous acceptons d’y mettre,
qui ouvre la possibilité d’un lien plus sécure.
Loin des dualités, loin des “bons” et des “mauvais” profils,
il existe un chemin où l’on se hisse l’un l’autre vers quelque chose de plus juste, une finesse relationnelle qui dépasse l’identité pour aller vers le processus, une sécurité co-construite dans la responsabilité partagée et la maturité affective, qui nous dépasse chacun individuellement.
à la sécurité est co-construite, pas “innée”
à l’attachement change selon la relation
à la présence de l’autre a un effet régulateur
à l’ajustement mutuel est au cœur de la guérison relationnelle
Au service du lien, à très bientôt au prochain détour, Marion P.
